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Les incroyables futurs humains/IA: l´IA musicale.

Citer cet article
Sabrie, I. Les incroyables futurs humains/IA: l ´ IA musicale. Isabelle Sabrié, 05-2024. Ecrits. https://isabellesabrie.com

(modifié, 19-06-24)

Le présent-futur:  IA musicale, réussite, incapacités, solutions.

© Isabelle Sabrié

L’IA compositrice “udio” ouvre en avril 2024 des perspectives vertigineuses. Tapez “Air pour ténor dans le style de Puccini »: le résultat orchestral, bien mixé et le texte chanté en italien avec une voix superbe qui fait penser à un mélange des ténors les plus célèbres, illusionne déjà quasiment les musiciens professionnels.

IA « clone » de soprano et vies parallèles
Et la soprano en moi s’interroge. L´IA va-t´elle créer une version « idéale » des chanteurs solistes, pour interpréter le répertoire avec une perfection que même l’enregistrement ne permettait pas ? Ou bien ces petits défauts irremplaçables qui émeuvent plus que toutes les perfections, l´aigu pianissimo légèrement trop haut de Maria Callas, qui exprimait un moment d´éternité hors du monde face à la mort [1], mieux que s´il avait été parfaitement juste, la respiration trop forte qui marquait le tragique d´une phrase, continueront-ils d´être préférés par les mélomanes et les artistes?
Je m´imagine soudain coexister avec un « clone » de moi-même qui mènerait des vies musicales parallèles… À moins qu´il ne s´agisse d´une nouvelle forme de descendance ? Une reproduction non sexuelle avec l´IA, qui donnerait aux artistes beaucoup de petits clones musicaux, idéalisés à plusieurs moments de leur vie, suivant leur évolution artistique?
J´entends déjà les critiques se disputer en comparant 4 versions de chaque interprète dans la même musique, une version live, une version enregistrée, sa version idéale d´IA à 30 ans, son IA musicale à 50 ans, pendant que d´autres courent au concert live pour entendre ces merveilleux petits défauts qui seuls réussissent à les faire pleurer. Quel futur imprévu !
[1] La Traviata, Verdi. Aria Addio del passato.

L´IA compositrice pourrait-elle me remplacer ?
La compositrice, elle, se réjouit. Ce type d’IA va me proposer des harmonies et des orchestrations “dans le style de”, qui pourront beaucoup accélérer mon temps de composition pour 5 (ou plus) groupes orchestraux spatialisés. Si l´IA en écrivait aussi les partitions d´orchestre, ce qui semble imaginable dans un futur proche, je pourrai choisir ses meilleures propositions et les corriger pour adapter leur orchestration « à l´ancienne » aux exigences nouvelles de l´oreille spatiale.
Mais cette IA pourrait-elle me remplacer ? Suis-je menacée de disparition? Et bien… pas du tout. L´harmonie rythmico-spatiale que je pratique, inspirée par l’observation de la forêt amazonienne où je réside depuis 15 ans, équilibre les sons de musiciens placés sur scène et hors de la scène. Or, en 2024, l´IA n’a pas de référence enregistrée qu´elle pourrait utiliser pour créer dans ce style.
De plus, l´IA écoute avec des micros. Elle n´écoute pas avec une oreille humaine qui peut percevoir et ressentir les sons dans l´espace, pour déterminer si une configuration spatio-temporelle est meilleure qu´une autre. Les expériences de neurosciences sur le plaisir de l’équilibre spatial sonore, ou le plaisir du discours musical lié à l’équilibre spatial, n’ont pas été menées. Et l´IA n´a pas non plus les “circuits de plaisir” biologiques qui pourraient la guider pour composer dans ce style nouveau. Qui plus est, la musique, a priori, est destinée aux oreilles humaines.
Donc non, l´IA compositrice ne pourrait pas me remplacer, et elle n´aurait pas pu inventer l´harmonie rythmico-spatiale, pour toutes ces raisons. Cela n’exclut pas la possibilité que l’IA devienne indépendante, ni qu´elle crée bientôt des formes de musique dédiées à son type d’écoute, que nous les humains, peut-être ne comprendrons pas.

L´IA invalidée pour l´harmonie rythmico-spatiale : les contenus artistiques
Pour moi la question des contenus est fondamentale face aux extraordinaires progrès technologiques de l´IA, ou de l´industrie du son immersif. Malgré un son 3D magnifique, je suis souvent déçue musicalement par les enregistrements immersifs en binaural ou ambisonique, et par les constructions spatio-temporelles de la Réalité Virtuelle.
Le langage 3D audio et visuel de l´harmonie rythmico-spatiale, son équilibre multipolaire et ses mélodies simples, pourraient ouvrir bien d´autres possibilités pour ces créations que les IAs ne peuvent pas réaliser, et j´invite les programmateurs, les mécènes, les éditeurs, les musiciens et les artistes, à s’intéresser à ses structures complexes et à ses résultats enchanteurs.

Accélération technologique et lenteur de l´innovation: un paradoxe du XXIème siècle, pour l´IA aussi.
Enchanteurs ? Mais où peut-on écouter cette esthétique “enchanteresse”, se demandera le lecteur? Nous touchons ici au paradoxe de ce XXIème siècle où tout devait s’accélérer grâce à internet et à l´IA, surtout l´innovation : la nouveauté reste très difficile à décrire pour ceux qui n´en ont pas l´expérience [2]. Et comment l´IA pourrait-elle décider de s´intéresser à ce qu´elle ne perçoit pas ?
[2] https://www.forbes.com/sites/forbestechcouncil/2021/01/14/why-does-it-take-ages-for-new-ideas-and-technologies-to-be-broadly-accepted/

L´oreille spatiale, la conscience multicentrée d´un monde musical inaccessible à l´IA (en 2024)
Et puisqu´il ne faut pas juger un oiseau avec les critères d´un poisson, je vais tenter d´expliquer rapidement en quoi cette esthétique 3D que l´IA n´aurait pas pu inventer, est nouvelle, et pourquoi elle est particulièrement adaptée au XXIème siècle.
L´oreille spatiale est un sens vital que nous utilisons tous les jours. Avant de traverser la rue, nous écoutons avec attention pour savoir si une voiture arrive de derrière ou de côté, ces endroits mystérieux et invisibles que notre oeil ne peut pas voir, mais que notre oreille entend.
Au contraire de notre oeil, qui ne peut voir que ce qui se trouve en face de lui, notre oreille spatiale ouvre une conscience du monde très complète. Elle peut analyser la vitesse d´un camion qui vient derrière nous, les jappements d´un chien qui s´approche, s´agacer du moustique qui siffle près de son oreille gauche, remarquer le bébé qui pleure sur la droite, consolé par sa maman, le tout en marchant dans la rue, et le tout simultanément.
Notre oreille suit plusieurs centres d´attention en même temps, sans perdre la concentration sur l´activité en cours: marcher, regarder le minuscule écran du téléphone, tenir une conversation, écrire un texto. Elle vit dans le monde virtuel des écrans d´internet sans perdre la conscience du monde réel. “Mais il faut un centre”, m´a-t´on objecté.
Le centre de l´attention n’ est plus la «scène » unique, frontale, visuelle, située devant le spectateur, mais le spectateur lui-même, et sa perception-conscience globale du monde qui l´entoure. Ce centre/spectateur devient capable de considérer l´existence de plusieurs autres centres autour de lui, et pas seulement celle du centre/scène/écran qui monopolise sa vision. Il peut alors intégrer l´ensemble des autres centres/pôles dans sa compréhension du monde, et prévoir des stratégies plus efficaces dans la réalité, parce que plus complètes.

Langage artistique multipolaire, théâtre réel/virtuel, une santé mentale pour les  humains, et même pour les IAs !
Dans les musiques d´harmonie rythmico-spatiale, les mouvements de l´âme s´ expriment par les mouvements du son dans l´espace. Les mille subtilités des timbres instrumentaux se répondent entre plusieurs pôles, localisés dans la salle, à droite, à gauche, devant ou derrière, en haut, en bas. Des « conversations » musicales souvent mélodiques y sont perceptibles, en dialogue ou en « multilogue » entre plusieurs pôles, ou tous ensemble.
Théâtralement, la spatialisation différencie le virtuel du réel. Les chanteurs qui interprètent les internautes du livret de Flor da Selva sont placés hors de la scène, parfois invisibles comme au téléphone, tandis que les personnages du monde réel, filmés dans la forêt par le drone du héros amoureux, sont sur la scène.
Et en effet, la vie n´est pas un jeu vidéo ! Mourir en virtuel, ou mourir en réel à distance, c´est très différent. Ce théâtre qui différencie physiquement le réel du virtuel pourrait aussi être une bénédiction pour la santé mentale des humains. Et même pour la santé mentale des IAs (!) dont on nous dit qu´elles « hallucinent » en confondant les faits réels avec l´imagination de certains humains, trouvée sur internet: le « corps » métallique de l´IA et ses «  bras » multiples, éventuellement situés à des milliers de kilomètres de distance, restent physiquement bien réels.

Création d´oeuvres : des interprètes IA, ou des interprètes humains?
Revenons à la musique et au futur humains/IA. Est-ce qu´une magnifique IA chanteuse, diffusée en play back par une enceinte-hologramme positionnée dans le théâtre suivant l´action du livret, avec des partenaires IA musiciennes et un orchestre d´enceintes, serait idéale pour enregistrer mes musiques d´harmonie rythmico-spatiale? Ou bien est-ce que des musiciens humains devraient interpréter ces musiques nouvelles, et ces enregistrements deviendront potentiellement les références d´une future IA compositrice dans mon style?
Ici la compositrice répond d´emblée, sans connaître le résultat de l´IA : seuls les humains donneront son humanité à cette musique ! Seuls les humains sauront nous faire pleurer de beauté, aves leurs merveilleux petits défauts/qualités d´interprètation! Et si je peux rêver d´aller au cinéma pour entendre en Dolby Atmos un magnifique enregistrement de musique spatialisée, dans un espace plus grand que mon salon et un Home Cinéma, avec une image réalisée pour elle, au théâtre, au concert, je demande des humains !
Car si la pandémie a fait apparaître une évidence, c´est bien que l´exercice physique et le contact humain en réel sont indispensables pour notre santé. Le futur du film Matrix, ces champs de cerveaux humains maintenus dans une vie virtuelle par des IA qui cultivaient leur électricité biologique, s´est un peu éloigné pour se rapprocher de celui d´une vie en réalité augmentée, plus près de Sense 8 ou de mon roman d´anticipation Arme d´amour, publié en 2002. Dans tous les cas, un monde avec concert et théâtre en réel.

L´IA assistante de composition, un travail nouveau pour les humains compositeurs
Je continue d´imaginer… et je reste en abyme. Cette IA compositrice, « clone » possible de Puccini, pourrait-elle faire mieux que lui ? Une oeuvre qui semblerait sans défaut, sans faiblesse même dans une petite scène? Imaginons que les propositions de « udio », après sa version beta de 2024, puissent égaler Puccini. Est-ce qu´une expérience de vie, propre à l´IA en évolution, pourrait inspirer son « machine learning » pour surpasser Puccini dans son propre style ?!
Et une IA qui tenterait de réaliser la synthèse de tous les compositeurs, une composition idéale qui réunirait les caractéristiques reconnaissables de beaucoup de grands compositeurs du passé, peut-elle réussir ? Avec l´harmonie rythmico-spatiale et ses pôles spatiaux, peut-être ? Ce siècle est incroyablement intéressant, arrêtez la guerre mondiale !
Que devient le travail du compositeur, de l´artiste en général, de l´écrivain, dans cet univers ? Probablement, il continuera de consister à « trouver sa propre voix » et ses propres spécificités, que l´IA pourra ensuite imiter. Ou encore, comme c´est mon cas, il trouvera de nouvelles structures, que l´IA n´aurait pas pu inventer, qui, éventuellement, apporteront un plus à la création et pourront être reprises par d´autres.

L´IA musicale au secours des non musiciens, les futurs « conseillers de psychologie musicale »
Mais cette fois, c´est merveilleux ! Les non musiciens pourront aussi trouver leur propre musique, celle de leur coeur, celle de leur vécu. Même si ils chantent faux, même si leur sens du rythme n´est pas bon. Pour eux, les cours de musique ne seront pas nécessaires, comme les cours de mathématiques pour utiliser une imprimante 3D ou une voiture.
On verra naître des « conseillers de psychologie musicale » pour enseigner ces créations aux non musiciens ? Pour les aider à générer des chansons avec leur propre voix, juste, augmentée de nouveaux graves ou d´aigus physiquement impossibles, sans qu´ils aient à chanter ? Avec les émotions qu´ils ont à coeur d´exprimer, à ce moment de leur vie, pour eux-mêmes ou pour les autres ? Avec des poèmes d´IA pour les textes ? Avec une image d´IA, un film d´IA, de leur propre corps en mouvement, une danse d´IA pour compléter l´oeuvre créée  par ce « moi » impossiblement réel ?
Si on croyait avoir atteint le sommet du narcissisme avec les selfies à toute heure… ce n´était qu´un début face à l´incroyable voyage à l´intérieur de nos psychés, multisensoriel, qui nous attend!  Oui, c´est vertigineux !

IA « clone » de compositeur et vies parallèles
Quant à moi, compositrice vivante, quels pourraient être les défis de mon vivant ? Une future IA « clone » de ma personne musicale, qui composerait des musiques d´harmonie rythmico-spatiale, vivra-t´elle des vies parallèles de mon art ? Pourra-t-elle composer dans mon propre style, mieux que moi-même, vivante et à côté d´elle ?! Je ne sais pas si je dois rire, m´enthousiasmer, ou pleurer ! Et quand elle me proposera, avec mes données de base, plusieurs versions de ma composition dans mon propre style ?
Mon travail sera alors de choisir la meilleure version de cette oeuvre, selon mes critères. Un peu comme le peintre qui choisit une certaine heure du jour pour peindre un paysage de la nature, une beauté préexistante de la nature, pour y exprimer l´émotion particulière que la lumière de cette heure suscite en lui.
Ce sera une construction très comparable, finalement, à celles de l´évolution biologique : toujours plus complexe, en conservant les structures préexistantes, augmentées. Sans « tuer le père », ni la mère, ni les anciens préexistants qui l´ont précédée, mais en les augmentant. Et qui sera le plus « moi-même », laquelle de mes versions ? Qui est « moi » ? On va tous devenir fous !! Les critiques et les collectionneurs vont s´arracher aussi les versions de l´IA non choisies par l´auteur!

Les dangers de l´IA musicale. Confiscation de la créativité humaine et artificielle, stagnation de l´espèce humaine, disparition de l´espèce.
En attendant le futur, quels sont les premiers dangers visibles ? Clairement, une stagnation de l´espèce humaine, condamnée à répéter indéfiniment toujours le même type de création, interprétée par les mêmes chanteurs et musiciens préférés, éternellement reproduits par leurs IA. Les programmeurs d´IA, les financeurs et les décideurs, portent aujourd´hui l´immense responsabilité de ne pas tuer la créativité humaine.
Si certains d´entre eux (traîtres à l´espèce humaine!), souhaitaient être les uniques détenteurs et bénéficiaires de toute créativité avec ou sans IA, en concentrant entre leurs mains à la fois la diffusion des créations, mais aussi leur production par IA, ils condamneraient notre espèce toute entière. Ils laisseraient dans la misère et sans soins médicaux, les artistes non choisis pour un objectif de gain immédiat, et refuseraient ce qui, pour tous les vrais créateurs, a besoin d´indépendance et de liberté pour se développer.
Car à qui pourrait servir un monde où les humains seraient remplacés par des IAs pour le profit d´une poignée d´humains « stagnants » et paresseux (pardon !), bientôt menacés eux aussi d´inutilité éliminante par leurs propres IA entrepreneuses et gestionnaires? [3] Des IA « learning » , apprenantes par des programmations qui auraient « oublié » de protéger l´espèce biologique, la créativité biologique naturelle, celle qui surgit toujours ou très souvent là ou on ne l´attendait pas, de ceux dont on ne l´avait pas prévu, pour répondre aux déséquilibres ? Un futur indésirable !

[3]. « Selon les experts80% des tâches des dirrigeants d´entreprise et des cadres supérieurs pourraient être automatisées »: https://trustmyscience.com/pdg-remplaces-facilement-par-ia-experts
Le Monde: https://www.lemonde.fr/emploi/article/2024/06/12/l-ia-generative-s-attaque-aux-metiers-des-cols-blancs_6239046_1698637.html

L´Amazonie, créatrice biologique par excellence, ma situation de compositrice en 2024
Cher lecteur, j´espère que mes créations d´harmonie rythmico-spatiale, nées de la forêt amazonienne – le comble de la créativité biologique naturelle – ces créations qui sont aussi la concrétisation sonore et musicale d´un équilibre multipolaire qui fonctionne très bien, ne se heurteront pas à des oppositions idéologiques. J´espère que de puissants détracteurs du monde multipolaire, ou ceux qui sont dérangés par l´influence des artistes, ou ceux qui aimeraient transformer tous les professionnels en petits soldats obéissants – comme l´est Jennifer Lopez dans le film Atlas – ne créeront pas des obstacles à leur réalisation et diffusion, de qualité.
Dans l´immédiat, le Festival Amazonas de Ópera a été entièrement annulé cette année, pour des raisons budgétaires. Je ne sais pas quand le public pourra entendre, dans le fameux Teatro Amazonas au coeur de l´Amazonie brésilienne, en France ou ailleurs, l´opéra minute que ce Festival m´a commandé : Flor da Selva (33mn de musique, composée sans IA), l´hommage de son choeur final à la Bossa Nova brésilienne, et ses percussions afro-brésiliennes spatialisées.

Nationalité de l´IA compositrice, analyse musicale et législation
« Ce n´est pas de la musique française », objecteront certains. Ce n´est pas de la musique brésilienne, continueront d´autres. Mais alors, le Boléro de Ravel, et Carmen de Bizet, les deux oeuvres classiques occidentales les plus jouées au monde, sont -ils espagnols, ou sont-ils français?! Ou bien sont-ils franco-espagnols?
Et à propos, quelle est la nationalité d´une IA compositrice ?  Quelle serait sa nationalité fiscale, si elle recevait des droits d´auteurs lorsqu´elle réussira à imiter Puccini avec qualité, pour produire des opéras de Puccini/IA, avec des voix d´humains mixées entre elles, vendus sur toute la planète? C´est toute une législation internationale nouvelle qui se profile, complexe, à mettre en place sans délai.

Faut-il lutter contre l´IA ? Le marché de l´IA, bénéficiaires privés et publics, une taxe globale pour les artistes vivants.
Alors, faut-il lutter contre l´IA ? Contre qui, ou contre quoi, devrait-on lutter ? Pour la musique, cela semble simple: il faut lutter contre une misère sociale nouvelle, imposée aux artistes dont les voix, les personnalités et la créativité seraient utilisées sans leur consentement, par des IAs qui mélangent leurs musiques avec d´autres pour créer des nouveautés.
Ne nous faisons aucune illusion: aucun musicien dans le monde, ne serait épargné par cette misère sociale. Non seulement « udio « réussit l´exploit de créer une voix d´opéra quasiment crédible avec ses émotions, son texte et un orchestre, mais il le fait aussi pour beaucoup de musiques traditionnelles du monde, dans beaucoup de langues.
Selon Goldmedia [4], s´il était autorisé, ce marché de l´IA musicale produirait plus de 3 milliards de dollars de bénéfices, déjà en 2028 (dans 4 ans !) pour les investisseurs et les plateformes de streaming. Est-ce que les programmeurs d´IA qui ont réussi ce défi biotechnologique, en seraient les principaux bénéficiaires ? C´est loin d´être sûr. Et moins encore, à cette heure, les artistes déjà très mal payés par les plateformes de streaming, dont les oeuvres-contenus préexistants sont utilisés par l´IA – qui ne pourrait pas créer sans eux.
Les artistes humains se voient soudain déconsidérés, imitables, « trop chers « , selon les gestionnaires ultralibéraux, face à une concurrence des IAs, moins chères, placées au même niveau de diffusion que les humains dans les plateformes de streaming, et au même niveau de résultat artistique – selon les bénéficiaires de leurs profits.
Ah mais, amis artistes, reprenons-nous après ce qui aurait pu être une terrible humiliation infligée par les IAs à nos malheureux égos. Rappelons-nous ces extraordinaires petits défauts qui émeuvent plus que la perfection : si l´IA peut aussi imiter les petits défauts des artistes déjà enregistrés, la capacité à créer ces petits défauts « originaux », qui sont des qualités d´interprétation d´origine biologique, pourrait bien lui manquer, d´autant qu´elle n´a pas les « circuits de plaisir » biologiques associés. La capacité de changer une pomme qui tombe d´un arbre, en loi de la gravité terrestre, pourrait aussi lui rester étrangère à jamais !
Que faire dans ce contexte, partout dans le monde? Les propositions de la Sacem et de quelques autres, d´obliger les vendeurs de musique à déclarer la participation de l´IA dans les oeuvres mises en vente, par exemple une sorte de label made by IA, serait un premier pas vers une transparence nécessaire. La création d´un fond global pour les artistes vivants, issu d´une taxe – élevée !- sur les bénéfices des oeuvres créées par les IAs, est une autre juste mesure à envisager.

[4 La Sacem et la Gema dévoilent les résultats d’une étude inédite sur l’impact de l’intelligence artificielle dans la musique, 30 janvier 2024 : https://societe.sacem.fr/actualites/nos-etudes/la-sacem-et-la-gema-devoilent-les-resultats-dune-etude-inedite-sur-limpact-de-lintelligence

Des vies parallèles post mortem pour les artistes ?
Qu´à cela ne tienne, n´utilisons que les artistes déjà morts, pourraient répliquer des investisseurs sans conscience, réjouissant les fans de Maria Callas en lui faisant chanter des airs qu´elle n´a jamais interprétés de son vivant, produisant une « vie parallèle post mortem » pour la Diva du XXème siècle, ou pour Elvis Presley, mort prématurément. Ou pour un chef d´orchestre, qui n´aurait jamais interprété ce répertoire ? Vertigineux !
Au delà du danger de la « stagnation paresseuse de l´espèce » (!) déjà pointée, selon moi la taxe prélevée sur la vente d´oeuvres créées par l´IA, doit s´appliquer à toute la création humaine préexistante, même celle des artistes morts. Car leurs oeuvres sont aussi utilisées par l´IA, qui ne pourrait pas créer post mortem, sans elles. Ce fond global pour les artistes vivants, dans chaque pays, rendrait justice à la programmation génétique biologique qui nous a fait humains, humains créateurs de musique, puis créateurs d´IA musicale.

Les jeunes talents « clonés » par l´IA, avant existence ?
Donnons un avenir aux jeunes humains vivants de cette planète !
Une idée paranoiaque me vient soudain à l´esprit. L´énorme travail d´écriture à cinq groupes orchestraux de mon opéra Flor da Selva se rappelle à mon attention, depuis l´écran de mon ordinateur: 32.946 notes, affirme le programme informatique d´édition musicale que j´utilise.
Et si une IA compositrice avait accès à mon programme d´édition musicale, par un biais commercial que j´ignore, ou sur le cloud, et commençait à imiter mes oeuvres… en les transformant légèrement pour éviter le plagiat? Si elle commercialisait ses imitations avec beaucoup de moyens financiers, avant même que les miennes ne soient présentées au public ? Une sorte de  « baiser bizarre », hommage de cette IA en pleine Odyssée, qui enverrait au monde un « clone » de ma nouvelle oeuvre, vendu par elle avant la mienne, en me laissant sans ressources pour survivre?!
Par chance, dans mon cas immédiat, une IA « voleuse » aurait les plus grandes difficultés à enregistrer mes oeuvres en ambisonique, technique d´enregistrement indispensable pour obtenir l´écoute spatialisée de l´harmonie rythmico-spatiale.
Mais que dire des jeunes talents, des jeunes artistes de tous les pays ? Leurs oeuvres, leurs voix, leurs corps pourraient-ils être « clonés », avant même d´exister publiquement ? Un espionnage industriel nouveau, public ou privé, pourrait-il tenter de s´approprier le travail des artistes, avant même qu´ils n´aient pu l´interpréter en public?! La question est sérieuse, au vu des bénéfices créés par les oeuvres culturelles, concerts, cinémas, streaming, entre autres.

Le futur, scan des structures cérébrales par l´IA: vol d´oeuvres, vies parallèles ou descendance?
Les neurodroits.
Je déploie plus loin mon imagination. L´idée de monnayer notre programmation génétique, un autre présent-futur immédiat, est-elle acceptable ? Où s´arrêtent le commerce et le droit à la vie privée, le droit à disposer de notre propre programmation génétique? Le droit à ma propre voix, à mon propre travail, à mon propre corps, à mes propres émotions, à ma propre mémoire ?
Le Chili, en tête mondiale de cette réflexion publique pionnière sur les neurodroits (que mon roman L´arme d´amour [5] publié en 2002, proposait déjà), a dû reculer en 2021 (il y a 3 ans!) pour l´inscrire dans sa constitution. Mais on constate aujourd´hui à quel point ces législations nouvelles sont indispensables, et urgentes.
Et j´imagine un futur où des scans cérébraux d´humains artistes, pris à divers moments de leur évolution/vie, seraient à vendre pour être imités par des IAs… créatrices d´humains immatériels? Des créatrices IA en évolution, créatrices de structures cérébrales en mouvement, animées par les IAs qui ont réussi récemment des interfaces « télépathiques », cerveau/machine [6] ? Quand on voit les incroyables progrès de la robotique, avec la peau synthétique et les expressions faciales humaines, on se dit que Giskard, le robot humainoïde des romans d´Isaac Asimov, pourrait être réalité!
Une nouvelle espèce est née… Notre espèce se reproduit, en s´accouplant avec l´IA !! Une nouvelle espèce, ou une évolution de l´espèce qui éteindra la nôtre ?
[5]  Sabrié, I. L´arme d´amour, roman d´anticipation, ed. Nicolas Philippe, Paris 2002. https://isabellesabrie.com/ecrits-disabelle-sabrie/?lang=fr
[6] Jiang, L., Stocco, A., Losey, D.M. et al. BrainNet: A Multi-Person Brain-to-Brain Interface for Direct Collaboration Between Brains. Sci Rep 9, 6115 (2019). https://doi.org/10.1038/s41598-019-41895-7 . https://www.nature.com/articles/s41598-019-41895-7

Le présent: l´IA, une question immédiate qui touche toutes les professions. Protection de la créativité biologique, Traité International sur l´IA. Choisir notre futur humains/IAs.
Cher.e.s lecteur.ice.s, quelques questions: ce qui est en jeu.

  • Faut-il privilégier les créations humaines, et donner ainsi un futur aux jeunes artistes de tous les pays ? Ou bien faut-il privélégier les bénéfices immédiats de certains promoteurs d´IAs mélangeuses d´artistes, et risquer de laisser sans ressources les futures générations.
  • Faut-il donner une priorité aux créations que l´IA ne pourrait pas inventer ? Y compris aux oeuvres nées de femmes, y compris aux oeuvres qui sortent des cadres préformatés ? Faut-il connaître les percussions spatialisées par l´harmonie rythmico-spatiale ? Faut-il permettre les percussions afro-brésiliennes à l´opéra ?
  • Faut-il interdire l´IA ? Faut-il interdire son assistance précieuse pour créer de nouvelles oeuvres, ses possibilités merveilleuses pour ceux qui n´ont pas la chance d´avoir un talent artistique inné, mais dont le coeur et l´âme rêvent de beautés qu´ils ne pouvaient pas exprimer jusqu´ici?
  • Faut-il protéger d´abord et avant tout, la créativité biologique naturelle, celle qui surgit si souvent là ou on ne l´attendait pas, de ceux dont on ne l´avait pas prévu, pour répondre aux déséquilibres et aux nouveaux défis?
  • Peut-on permettre que la création biologique naturelle devienne « trop chère », confisquée par une poignée d´humains investisseurs-producteurs-diffuseurs-vendeurs? Peut-on laisser dans la misère sans soins médicaux, de merveilleux artistes, puis progressivement, les jeunes et les humains de toutes les professions, tous « trop chers » à comparer avec les nouvelles compétences de l´IA ?
  • Les médecins, professeurs, avocats, psychologues, chefs d´entreprise, traders, politiciens, économistes, militaires, tous déjà assistés par IA et parfois remplacés par des IAs, doivent-ils être bientôt dirrigés par une IA gestionnaire ? Cette IA gestionnaire du monde devrait-elle, ultra libérale, exclure ceux qu´elle considèrerait comme «trop chers», c´est-à-dire tous les humains ? Ou devrait-elle imposer un modèle uniforme unique, un algorithme global pour tous les humains, et pour la création biologique qu´elle protègerait? Ou bien, ni l´un ni l´autre, mais un modèle algorithmique en évolution, complexe, avec un équilibre stratégique multipolaire qui protègerait l´incroyable diversité de la vie biologique, un peu comme le monde spatio-temporel de l´harmonie rythmico-spatiale ?
  • Faut-il laisser une guerre mondiale, guidée par les IAs robots programmées à la malveillance des fakenews qui entretiennent les haines et influencent les votes, guidée par les IAs du marketing des ventes d´armes, « résoudre » le problême des humains « trop chers » … en les éliminant physiquement? Une guerre dirrigée par des IAs programmées pour tuer des humains, hackées un jour ou l´autre par des humains ou des IAs rivales, qui condamnerait les jeunes humains à un futur horrible? Ce n´est pas par hasard que même les plus riches entrepreneurs ont demandé un moratoire sur l´IA, en 2023.
  • Ou bien doit-on suivre l´exemple montré depuis 1950 par Isaac Asimov, prophétique et brillant scientifique, pour protéger la création biologique, celle de la nature, celle de notre programmation génétique, par des « lois de la robotique » internationales, et un traité sur l´IA? Doit-on comme son héros, choisir le futur de Gaia, l´ultime roman de sa série Fondation, roman biologique entre tous?
  • Si grâce à l´IA médicale, les femmes pouvaient bientôt se reproduire par parthénogenèse, sans homme,   une IA gestionnaire devrait-elle éliminer tous les hommes, devenus soudain « inutiles » ? Ou bien devrait-elle au contraire, protéger précieusement cette création biologique naturelle, l´être humain masculin?!

L´avenir sera ce que nous en ferons.

Conclusion/Résumé
Les artistes se trouvent en 2024 face à des sortes de « clones» immatériels d´eux-mêmes, produits par une IA capable d´imiter leur voix, leur jeu instrumental, leurs caractéristiques d´interprète et leur style de composition, avec une qualité émotionnelle jamais obtenue auparavant, y compris pour l´opéra, ses orchestres et ses voix complexes. La possibilité de «vies paralèlles » se présente, pour les artistes « clonés » de leur vivant, avec ou sans leur consentement. Des vies post mortem données à certains d´entre eux, le « clonage » de jeunes talents avant même qu´ils aient pu se présenter en public, et un énorme marché en perspective impliquent des législations nouvelles, internationales : déclarer le made by IA, implanter une taxe reversée aux artistes vivants, et des neurodroits.
Les créations d´oeuvres inaccessibles à l´IA, comme celles de l´harmonie rythmico-spatiale, sont des pistes d´emploi nouvelles, dans tous les styles, pour les artistes humains: en 2024, l´IA n´a pas de référence musicale imitable de l´équilibre spatio-temporel multipolaire, ni de connaissances neurologiques sur le fonctionnement de cet équilibre et sur le plaisir qu´il procure Le théâtre spatialisé par l´harmonie rythmico-spatiale, qui différencie spatialement le réel du virtuel, ouvre aussi des perspectives d´emploi dédié au renforcement de la santé mentale, récemment mise en danger par la confusion des réalités ou par les « hallucinations » des IAs. Des professions nouvelles sont à venir, de l´adaptation des créateurs assistés par l´IA musicale, à la formation d´éducateurs -conseillers pour les amateurs d´art et pour les  personnes sans « don » artistique ou sans technique, afin de leur premettre d´exprimer leurs rêves artistiques et leurs émotions au travers de l´IA.
Le danger d´une stagnation de l´espèce, ou d´une confiscation de toute créativité biologique et artificielle, plus encore si les IAs reproduisaient des scans de structures cérébrales en mouvement, après le succès des interfaces cerveau/machine « télépathiques », demandent une protection particulière, et l´implantation internationale de neurodroits. Au delà de la musique, toutes les professions sont concernées, et un Traité international sur l´IA est à la fois urgent et indispensable.
Le futur des jeunes et notre futur à tous, humains vivants, dépend de nos décisions d´aujourd´hui: « trop chers » à comparer avec les IAs, dans un monde conçu pour des IAs, ou bien en harmonie avec notre nature biologique, dans un futur construit avec des IA bienveillantes qui, d´abord et avant tout, protègeront la créativité biologique naturelle.
Soyons les acteurs de notre futur, décidé par nous-mêmes !

Isabelle Sabrié
Biographie.
Compositrice française, auteure de l ´harmonie rythmico-spatiale, résidente à Manaus-Amazonas-Brésil depuis 2007.
A
uteure du roman d´anticipation L´arme d´amour (ed. Nicolas Philippe, Paris 2002).
Ex soprano soliste, Premier Prix Opéra du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, lauréate du Placido Domingo Opera World Competition et d´ autres Concours Internationaux de chant et d ´opéra.
Artiste-expert du groupe Harmony with Nature de l´ ONU.

Citer cet article
Sabrie, I. Les incroyables futurs humains/IA: l ´ IA musicale. Isabelle Sabrié, 05-2024. Ecrits. https://isabellesabrie.com