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Fondements scientifiques

Comme l´harmonie classique, l´harmonie rythmico-spatiale est basée sur des lois physiques naturelles. Si les lois de la physique acoustique des consonances fondent l´harmonie classique, ce sont les règles de la proxémie observée chez les humains et les animaux qui fondent l´harmonie rythmico-spatiale.

La proxémie est « une discipline scientifique qui étudie l’organisation signifiante de l’espace des différentes espèces animales et notamment de l’espèce humaine [1] » La proxémie a été observée scientifiquement par des études statistiques au XXème siècle [2], puis par les neurosciences de l´amygdale cérébrale en 2009 [3].

Plus simplement, de quoi s´agit-il ? Un exemple. La proxémie détermine que lorsqu´on entre dans un wagon dans lequel une seule personne inconnue est assise à un bout du wagon, statistiquement dans plus de 80% des cas, on va s´asseoir le plus loin possible de cette personne, à l´autre bout du wagon. Si on s´asseyait à côté de cette personne inconnue alors que le reste du wagon est vide, cela provoquerait chez elle une impression défensive du type « que me veut cette personne ?» et probablement l´envie de s´éloigner. C´est pour elle comme une entrée forcée dans son intimité, une entrée dans son « territoire » physique, qui était le wagon entier avant notre arrivée. Et si il y a 2 personnes inconnues assises à chaque bout du wagon, l´humain entrant ira le plus souvent s´asseoir au milieu, à égale distance de ces 2 personnes.

Il s´agît de « lois » de l´occupation de l´espace physique par un groupe d´êtres vivants, auxquelles nous obéissons la plupart du temps sans en avoir conscience. Ces règles de « distances interpersonnelles » proxémiques avaient d´abord été observées chez les animaux [4] durant le XXème siècle, puis elles ont été mises en évidence chez les humains.

Et c´est exactement de cela qu´est née l´harmonie rythmico-spatiale ! C´est en écoutant des crapauds de chant antiphonal à Manaus-Amazonas-Brésil où je réside depuis 2007, que j´ai tout à coup remarqué les distances rythmico-spatiales particulières des crapauds entre eux, et entre leurs sons. Les distances physiques interpersonnelles entre les crapauds semblaient les placer à des endroits précis les uns en fonction des autres (comme les humains dans le wagon), d´une part, et d´autre part les distances interpersonnelles temporelles [5] précises, rythmiques, entre les sons émis par ces mêmes crapauds, semblaient correspondre à leur position dans l´espace physique.

C´était comme si une « symphonie » de crapauds déjà composée et parfaitement spatialisée, équilibrée en multipôles égaux, se jouait autour de moi ! J´ai soudain observé l´existence d´un équilibre multipolaire naturel, rythmico-spatial, entre ces crapauds. Puis je l´ai observé entre toutes les espèces vivantes, y compris l´espèce humaine.

C´est seulement ensuite, après beaucoup de recherches, que j´ai appris l´existence de la proxémie, une discipline dont j´ignorais tout. J´ai commencé à construire une architecture musicale en 3D qui mette en « relation arithmétique simple [6] » les rythmes musicaux en fonction des positions dans l´espace des groupes d´instruments, dans mes compositions. J´ai laissé l´inspiration me guider, et j´ai testé peu à peu les configurations rythmico-spatiales les meilleures, avec plusieurs enceintes situées à des endroits précis de la salle, et enfin plusieurs créations d´œuvres présentées au public, en multicanal par des enceintes ou avec les musiciens de l´orchestre Amazonas Filarmônica, placés à des endroits précis du fameux Teatro Amazonas.

En 2020, si les neurosciences ont montré que l´amygdale cérébrale décide effectivement de la position dans l´espace des individus humains, donnant une base scientifique aux preuves statistiques, le «rapport arithmétique simple » qui pourrait bâtir des mathématiques de la proxémie physique et temporelle n´est pas démontré. Je ne sais d´ailleurs pas si des expériences ont pu être tentées pour le mettre en évidence, au moins statistiquement, et c´est probablement une tâche aussi complexe que les différentes relations des humains entre eux. Pourtant, qui n´a jamais marché sur des carreaux, au sol, en s´amusant à placer ses pieds à des endroits précis des carreaux, comme si un équilibre inconnu ou des règles invisibles demandaient à respecter un « équilibre » au milieu des carreaux ? Ou qui n´a jamais vécu le phénomène du wagon décrit plus haut ?

De la même façon que nous « calculons » les rythmes musicaux avec une très grande précision en chantant une mélodie, sans avoir conscience que nous sommes en train de calculer (à trois-quart du prochain temps, je chanterai la deuxième syllabe du mot durant un quart de temps, etc.), de la même façon, et c´est mon hypothèse, nous « calculons » la position de notre corps dans l´espace en fonction des autres êtres ou objets présents, sans en avoir conscience. Et je pense sérieusement qu´il existe des mathématiques, même complexes, de la proxémie [7].

Dans tous les cas, ce « rapport arithmétique simple » que j´ai entendu et remarqué dans la nature, est le choix de construction de l´harmonie rythmico-spatiale. Et c´est l´autre raison principale pour laquelle le terme d´harmonie s´est imposé à moi pour la nommer.


[1] https://www.cnrtl.fr/definition/prox%C3%A9mie
[2] The hidden dimension, Edward T Hall, Garden City,N.Y, Doubleday 1966.
[3] Kennedy, Daniel P et al. “Personal space regulation by the human amygdala.”
Nature neuroscience vol. 12,10 (2009): 1226-7. doi:10.1038/nn.2381. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2753689/
[4] Hediger, Psychology and behaviours of animals inzoo and circuses, 1954
[5] Esthétique de composition, Réflexions et recherches transdisciplinaires pour le XXIème siècle, Isabelle Sabrié, 2012. Inédit, tous droits protégés.
[6] Les musiciens ou les groupes de musiciens sont placés à égale distance les uns des autres, ou à 2 fois, 3 fois une distance physique de base choisie en fonction des dimensions de la salle. La construction des rythmes en 3D suit d´autres règles précises. D´autres « relations arithmétiques simples » se rencontrent dans les structures musicales courantes. Pythagore a découvert qu’il existait un rapport entre la longueur d’une corde tendue que l’on fait vibrer et la hauteur du son émis : en plaçant un chevalet sur un monocorde (ou une frette de guitare) qui ne permettait de tendre que la moitié de la corde, la hauteur du son obtenue était l´octave supérieure. La fréquence, c’est à dire la hauteur d’un son fondamental est inversement proportionnelle  à la longueur de la corde en vibration. En acoustique, un partiel harmonique est une composante d’un son périodique, dont la fréquence est un multiple entier d’une fréquence fondamentale.
[7] Par exemple, Les mouvements de foules obéissent aux lois de la mécanique des fluides.
https://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/la-foule-se-comporte-comme-un-liquide_131028