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Pourquoi le terme «harmonie » : musique, sciences

Pourquoi le terme d´« harmonie » ?

 

Cette question très pertinente m´a été posée en 2019 par Nguyen Minh Tâm, le Directeur Artistique des Percussions de Strasbourg pour qui je compose actuellement la Symphonie – ballet Cenas da Amazônia. Il a ensuite validé le terme d´harmonie, après mes explications que je présente ici en quelques phrases. Des publications, conférences et confirmations scientifiques internationales récentes ont depuis conforté le choix de ce terme, avec le parrainage d´Edgar Morin.

Définition musicale : l´ harmonie rythmico-spatiale est un ensemble de principes spatio-temporels qui règle l’emploi et la combinaison des sons simultanés lorsque ceux-ci sont émis depuis des lieux différents d´une salle, et leur enchaînement à des moments précis de façon à développer un équilibre spatial et rythmique en évolution dans l´espace physique en 3 dimensions.

 

Fondements musicaux et scientifiques du terme «harmonie»

 

En musique, l´harmonie classico-romantique se définit comme l´« ensemble des principes qui règlent l’emploi et la combinaison des sons simultanés » [consonants], ou encore les «art et science de la formation et de l´enchaînement des accords [1]».

En langage scientifique, les accords consonants utilisés par l´harmonie classico-romantique sont des superpositions de fréquences de hauteur qui ont des relations de consonance physique entre elles. En sciences acoustiques, la consonance physique se définit par « des sons dont les fréquences fondamentales sont dans un rapport arithmétique simple l’une par rapport à l’autre [2]». Cette caractéristique arithmétique naturelle est connue depuis Pythagore, et on la retrouve dans l´harmonie rythmico-spatiale, sous une autre forme.

Jusqu´au XXème siècle la définition du terme musical « harmonie » s´appliquait  uniquement à la dimension verticale de l´écriture musicale des sons simultanés, c´est-à dire aux sons consonants superposés, émis depuis le même endroit de la salle et au même moment rythmique.

L´harmonie rythmico-spatiale est elle aussi un « ensemble de principes qui règlent l’emploi et la combinaison des sons simultanés, et leur enchaînement ». Mais cette fois ses principes s´appliquent dans la dimension horizontale rythmique (temporelle) et spatiale (espace physique) de l´architecture musicale. Ils s´appliquent à « l’emploi et la combinaison des sons simultanés » lorsque ceux-ci sont émis depuis plusieurs endroits différents de la salle, à des moments rythmiques d´une même mesure ou d´un même « temps », et à leur enchaînement avec d´autres rythmes spatialisés.

Comme l´harmonie traditionnelle, l´harmonie rythmico-spatiale entretient un «rapport arithmétique simple » entre les sons simultanés. Ce rapport arithmétique simple  lie les rythmes musicaux à la position spatiale de leurs sources sonores (la position des instrumentistes ou des enceintes dans la salle). Il existe dans les 2 dimensions « horizontales » de l´écriture de l’harmonie rythmico-spatiale, la spatiale physique, et la temporelle rythmique.

C´est ce que j´ai observé dans la forêt amazonienne : une harmonie rythmico-spatiale naturelle, qui m´est apparue pour la première fois en écoutant des crapauds de chant antiphonal de l´Amazonie. Les lois de la proxémie sont connues depuis le milieu du XXème siècle, elles décident de la position de chaque animal en fonction des autres dans l´espace physique. Elles décident aussi selon mes observations, de sa position rythmique dans le temps lorsqu´il émet un son [3]. Une pulsation régulière (avec ses pulsations relatives) synchronise l´ensemble des sons complexes de la biophonie, ce sujet de neurobiologie est en discussion avec les scientifiques depuis 2009.

Dans la dimension « spatiale physique » de l’harmonie rythmico-spatiale, les 3 dimensions d´une salle, hauteur, largeur et longueur, sont envisagées. Elles se divisent elles-mêmes en 2 : haut-bas, gauche-droite, devant-derrière. Les compositeurs qui utilisent ce langage musical vont décider des distances entre les sources sonores de façon à ce que celles-ci se trouvent en  « rapport arithmétique simple » les unes par rapport aux autres.

Par ailleurs dans la dimension « temporelle rythmique » de la musique, c´est la définition même du rythme qui est arithmétique : la relation entre les durées des sons d´un rythme est mathématique. Chaque division ou multiplication de l´unité de temps choisie  est en « rapport arithmétique simple » avec cette même unité de temps musical. Par exemple, une note ronde se divise en 2 notes blanches, une note noire est égale à 3 croches de triolet, ou 2 croches en binaire. L´ensemble des multiplications ou des divisions rythmiques est multiple ou diviseur de nombres entiers simples, 1, 2, 3, 4,  ou 5, qui vont rarement au-delà de 7.

La “relation arithmétique simple” qui caractérise l´harmonie traditionelle et la consonance physique se rencontre donc dans au moins 2 dimensions, le rythme et l´espace, pour bâtir l´harmonie rythmico-spatiale, permettant de reconstruire l´équilibre temps-espace en mouvement dans la salle à chaque nouveau moment.

Les principes temps-espace de l´ harmonie rythmico-spatiale  admettent tous les systèmes musicaux, y compris l´harmonie classico-romantique dans sa verticalité, la musique sérielle, modale, etc. Ils n´altèrent pas l´harmonie classico-romantique si elle est présente dans la composition. Celle-ci peut continuer identique quel que soit le lieu de son émission sonore, depuis la scène « devant » ou ailleurs dans la salle. L´harmonie rythmico-spatiale ajoute des dimensions et des règles à la musique produite depuis la scène devant les auditeurs. Elle lui ajoute « côté gauche-droit-haut-bas-derrière », et l´enchaînement des sons y est développé en suivant des règles d´«équilibre temps-espace».

Par la suite, les questions de timbres, d´acoustique et de perception auditive humaine déterminent d´autres règles qui se superposent à celles-là. Elles sont  fondées sur la possibilité, ou non, d´une bonne perception de la localisation du son dans la salle par l´oreille humaine, et de son intérêt, ou non, dans le contexte musical général. Comme les règles de l´orchestration, certaines configurations sont meilleures que d´autres, et se sont imposées à moi au cours de la composition de mes œuvres d´ harmonie rythmico-spatiale, jusqu´à créer récemment des rythmes populaires en 3D.

Pour toutes ces raisons le terme d´ « harmonie » m´est apparu le meilleur pour nommer cette construction musicale.


[1] Dictionnaire Larousse.
[2] Pythagore a découvert qu’il existait un rapport entre la longueur d’une corde tendue que l’on fait vibrer et la hauteur du son émis : en plaçant un chevalet sur un monocorde (ou une frette de guitare) qui ne permettait de tendre que la moitié de la corde, la hauteur du son obtenue était l´octave supérieure. La fréquence, c’est à dire la hauteur d’un son fondamental est inversement proportionnelle  à la longueur de la corde en vibration. En acoustique, un partiel harmonique est une composante d’un son périodique, dont la fréquence est un multiple entier d’une fréquence fondamentale. (https://edutheque.philharmoniedeparis.fr/)
[3]Esthétique de composition, Réflexions et recherches transdisciplinaires pour le XXIème siècle, Isabelle Sabrié, 2012. inédit.